Nous souhaitons mettre en lumière une personne qui contribue activement au succès de 20°Nord 20°Sud : Katrien DELAET, sourceuse de fèves de cacao de spécialité.
Qui est-elle ? En quoi consiste son métier ? Quelles relations entretient-elle avec les producteurs de cacao ? On vous dit tout dans une interview inédite !
Katrien, qui es-tu et en quoi consiste ton métier ?
Je suis titulaire d’un Master en Ingénierie des Sciences Biologiques et en Économie. Pendant 15 ans, je me suis consacrée à l’approvisionnement de cafés haut de gamme. Et j’ai beaucoup appris : de la relation avec les producteurs à la livraison en Europe, en passant par l’obtention de certifications.
Passionnée de cacao et de chocolat, j’ai ensuite décidé de mettre mon expérience au service des producteurs de cacao. J’ai pour objectif de créer de la valeur pour eux grâce au cacao de spécialité.
En 2018, j’ai donc créé Silva Cacao en Belgique. J’adore partir à la recherche de nouveaux profils aromatiques, à la découverte de variétés perdues. Mais j’aime aussi tisser des liens avec les producteurs de cacao et les interlocuteurs locaux.
Sourceur en cacao est un métier multi-compétences qui demande de :
- Connaître la culture du cacao et les étapes post-récolte. Pour que nos chocolatiers puissent travailler le cacao, les cabosses doivent être récoltées juste à point et les fèves bien fermentées et séchées.
- Maîtriser les process de qualité. Chaque producteur doit respecter un cahier des charges précis.
- Avoir une appétence pour la dégustation ! Goûter, goûter, et regoûter des fèves de cacao pour apprécier toute leur complexité aromatique et identifier d’éventuels défauts.
- S’y connaître en logistique, en finance, en commerce ainsi qu’en procédures d’exportations et en droits douaniers locaux.
- Être bilingue anglais et espagnol pour faciliter la communication avec les locaux.
- Distinguer les étapes de la chaine de valeur : de la semence aux chocolatiers.
- Aimer les gens et avoir une aisance relationnelle. Pour faire ce métier, il est primordial de comprendre le contexte local, les problématiques et le fonctionnement de nos interlocuteurs.
Mon rôle : accompagner les producteurs de cacao pour améliorer leur création de valeur.
Ma mission : donner le sourire aux agriculteurs, aux chocolatiers et aux consommateurs.
Comment es-tu perçue par les producteurs de cacao de spécialité ?
Je suis très bien reçue par les producteurs. Je ne suis pas là pour imposer ma façon de faire. Je veux avancer avec eux main dans la main vers un cacao au profil aromatique complexe et unique. Je souhaite créer de véritables relations de partenariat, durables et saines.
Ils sont enthousiastes quand je leur parle de formations et d’outils pour améliorer leur vie quotidienne.
Leur connaissance des processus de qualité varie selon les pays. Par exemple, au Nicaragua, les producteurs rencontrés se forment déjà. En revanche, au Congo, ils n’ont aucune notion.
Ma volonté : leur apporter les outils nécessaires pour veiller à une culture du cacao durable et valoriser le mieux possible leur produit.
Comment définis-tu le cacao de spécialité ?
Un cacao de spécialité est un cacao sans défaut, qui présente des goûts positifs. Les défauts peuvent provenir des étapes de culture, de récolte ou post-récolte. Par défauts ou goûts négatifs, je pense par exemple à des notes animales, terreuses, amères ou de rance.
Un cacao de spécialité possède une traçabilité parfaite, qui respecte en tous points le protocole de qualité défini. Mais c’est aussi un cacao avec un profil aromatique complexe, qui présente des notes spécifiques. Bref, une identité unique !
Enfin, c’est un cacao qui a « bon goût » mais n’est pas complexe. On le qualifie de cacao régional.
Et comment reconnaître des fèves de cacao d’une qualité exceptionnelle avec des notes complexes ? La réponse est très simple : tests et dégustations, tests et dégustations, tests et dégustations.
Aujourd’hui, le cacao de spécialité ne représente même pas 1% du marché global du cacao.
Pour en savoir plus, je vous invite à lire l’article suivant : https://silva-cacao.com/specialty-cacao/
Comment sélectionnes-tu les producteurs de cacao de spécialité ?
Katrien sourit.
Tout est question de rencontres, de présentations, de recommandations. Et, je ne parle pas uniquement des Hommes. Je pense aussi aux génétiques des fèves de cacao. Si je découvre une génétique spéciale, alors je fais plus ample connaissance avec elle.
Par ailleurs, je sélectionne des fèves de cacao avec des profils différents de ce que je propose déjà. Je ne veux pas proposer une offre de fèves qui se cannibalise.
Une fois le producteur choisi, Il faut entre 2 et 3 ans pour présenter aux chocolatiers une nouvelle origine de fèves. En effet, s’aligner sur nos exigences de qualité nécessite beaucoup de temps et de travail.
Comment entretiens-tu des relations durables avec les producteurs ?
Je voyage beaucoup pour les rencontrer régulièrement. Et What’s app est un moyen de communication fabuleux qui change la vie. Je passe beaucoup de temps au téléphone et en quelques heures d’un pays à un autre. Mes interlocuteurs m’envoient des photos de la préparation des lots et des échantillons. Ils prennent les embarquements en vidéo, etc.
Sur-place, des personnes sont « mes yeux ». Elles veillent au respect des normes de qualité durant toutes les étapes de récolte et post-récolte. Le séchage est la phase la plus complexe du processus post-récolte. En effet, les fèves de cacao sont ensuite renfermées dans des sacs durant des semaines, voire des mois, avant d’être livrées aux chocolatiers. Aucune moisissure ne doit se former.
Je travaille également avec des superviseurs locaux pour le stockage et le transport des sacs de fèves de cacao.
Comprendre les besoins des producteurs de cacao est la base d’une relation et d’une production de cacao durable. Je dois être réaliste sur mes exigences. Je me dois de leur donner les moyens d’y répondre en mettant en place des actions liées aux nécessités locales.
Et puis, la confiance est au cœur de mes relations avec les producteurs.
Quels sont les défis des agriculteurs locaux et comment les aides-tu ?
Tout dépend du pays. Par exemple, en Afrique, les producteurs de cacao de spécialité sont confrontés à des problèmes de financement. Il faut donc mettre en place un système de préfinancement en leur versant l’argent avant la livraison des fèves de cacao. Je vais aussi à la rencontre des acteurs financiers locaux pour étudier comment ils peuvent les soutenir. Car naturellement ce n’est pas sans risque….
En Ouganda, le défi majeur vient de la productivité des sols. Je recherche alors des acteurs locaux qui partagent un même point commun : développer l’agroforesterie pour régénérer les sols.
Dans d’autres pays, j’aide les producteurs à obtenir une licence d’exportation ou encore une certification bio. Mon métier nécessite donc de solides compétences en gestion de projet.
Nous entendons beaucoup parler de l’inflation du prix du cacao et de sa raréfaction à venir. Qu’en penses-tu ? Quels messages voudrais-tu faire passer aux consommateurs ?
Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui consomment du chocolat avec des défauts. C’est à nous, les chocolatiers et les acteurs de la filière cacao, de les sensibiliser à ce sujet. Il est urgent de communiquer sur la manière dont on fabrique le chocolat et sur la complexité aromatique des fèves de cacao.
Soyons réalistes : payer 2 € pour une tablette de chocolat, c’est impossible ! Si les consommateurs pensent à tous les acteurs de la chaine de valeur, de la semence à la mise en distribution, cela semble alors évident. Payer le juste prix pour une tablette, c’est rémunérer décemment les producteurs de cacao. C’est les motiver à respecter la nature et à veiller à la bonne culture de leurs cacaoyers.
Quant à la question sur l’inflation, elle impacte tous les marchés du cacao. Bien entendu, il s’agit de tous ceux qui achètent leur cacao selon le cours de la bourse. Mais cela concerne aussi le secteur du cacao de spécialité puisque nous continuons à payer des primes pour la valorisation du travail de qualité.
Le métier de « sourceur de fèves de cacao est-il plutôt un métier « féminin » ou « masculin » ?
Globalement, dans le secteur du négoce de cacao, on retrouve plus d’hommes. En revanche, le marché de niche qu’est le cacao de spécialité regroupe davantage des femmes.
Et, selon toi, qu’apporte le fait d’être une femme dans ce métier ?
Souvent, quand je rencontre pour la première fois mes interlocuteurs locaux, je sens une certaine « gêne ». Culturellement, dans beaucoup de pays cultivateurs de cacao, le rôle de la femme est discret. Mais quand ils comprennent que je connais leur métier, que je suis là pour les aider, la confiance se créée. Je pense qu’en tant que femme, je suis plus attentive à l’humain. Je suis plus sensible et à l’écoute de leurs besoins quotidiens.
Et, je suis fière de contribuer à renforcer le rôle de la femme dans les organisations locales.
Pour conclure, qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton métier ?
J’adore les échanges avec les producteurs de cacao. J’éprouve beaucoup de satisfaction quand je leur donne des outils pour se développer économiquement et que cela fonctionne. Je suis tellement contente de voir leur travail valorisé sur la chaine de valeur.
Nous réussissons ensemble, tel est mon moteur quotidien !
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